Route de Qift à Al-Qusayr, saison 1996

La campagne s'est déroulée du 31 décembre 95 au 12 février 96. Les membres de la mission étaient: Hélène Cuvigny (papyrologue, chef de chantier), Jean-Pierre Brun, Jacques Bérato, Claude Blanc, Michel Reddé, Marie-Agnès Matelly (archéologues), Adam Bülow-Jacobsen, Jean-Luc Fournet (papyrologues), Patrick Deleuze et Nelly Martin (topographes), Mohammed Ibrahim Mohammed (photographe), Khaled Zaza (dessinateur). La mission était accompagnée des inspecteurs délégués par le Conseil supérieur des Antiquités de l'Égypte, messieurs Abd-el-Rigal Abu Bakr et Maher Moafik.

En 1994 et 1995, le fortin d'Al-Zarqa' (Maximianon dans l'antiquité) avait été presque intégralement fouillé, tant en ce qui concerne le fort lui-même que le dépotoir extérieur. Ces recherches avaient montré que le praesidium actuellement visible avait succédé à une installation de type militaire partiellement préservée sous le dépotoir. Cette première installation pourrait dater de la seconde moitié du Ier s. de l'ère chr. tandis que le fort lui-même serait attribuable au IIe. Ces données chronologiques restaient toutefois imprécises faute d'ensembles de comparaison publiés et de lacunes dans la compréhension de la mise en place du système des praesidia jalonnant la route de Koptos à Myos Hormos. Pour lever ces incertitudes et offrir un contexte à Maximianon, il fut décidé de procéder en 1996 à une exploration des autres fortins. Le travail a consisté à dégager les structures essentielles afin de lever des plans précis et à effectuer des sondages destinés à fournir des données chronologiques susceptibles de dater chacun de ces établissements.

Le travail a porté sur six d'entre eux : Qusur al-Banat, Al-Muway, Bi'r al-Hammamat, Al-Hamra', Bi'r Sayyalah, Al-Dawwî. Les deux premiers ont fait l'objet de fouilles plus approfondies. Tous ces fortins ont été relevés au télémètre ; des plans architecturaux et topographiques en contexte en ont été dressés.

1. Qusur al-Banat

M. Reddé a dégagé la porte, les deux pièces adjacentes et plusieurs pièces situées le long de la courtine sud et à l'angle sud-ouest. Un dégagement superficiel des zones non fouillées a fait apparaître les murs afin de préciser le plan ; une tranchée nord-sud dans l'axe de la porte n'a pas révélé de modification dans la stratigraphie du wadi : ce praesidium ne comportait pas de puits. Comme à Maximianon, aucune trace d'écurie n'apparaît dans le fort.

Principaux sondages:


-la porte a révélé la présence de deux tours carrées, saillantes et pleines, d'env. 2,8 x 2,8 m, clairement boutissées avec la courtine sur la face externe. Le passage, large de 2 m, comprenait un seuil de grès monolithe. Le pivot de la porte, à simple vantail, reposait dans une crapaudine creusée au nord-ouest dans le sol. Le passage est en terre battue ; de part et d'autre de la porte apparaît une banquette en brique crue. Dans une phase tardive, l'accès a été bouché par des blocs de pierre. Ce sondage a livré des fragments de l'inscription de fondation, en latin, trop mutilée pour apporter des éléments de datation sûrs.
- la pièce 12 (c. 5,4 x 5,6 m), face à l'entrée, mais avec un léger désaxement, a été entièrement dégagée. Elle comporte un dispositif particulier : une allée centrale sépare deux banquettes latérales de 0,5 m en hauteur et en largeur ; au fond, le long de la courtine sud, apparaissent les restes d'un édicule légèrement surélevé par rapport aux banquettes latérales, séparé de celles-ci par les restes d'un muret, au sud-ouest, avec deux niveaux superposés de mortier. Il s'agit probablement d'une aedes avec un dispositif cultuel particulier pour lequel existent quelques parallèles et qu'on peut assurément rapprocher de celui de Maximianon.
-les autres pièces de l'angle sud-est ont été dégagées. Elles témoignent d'aménagements successifs, d'intérêt local, et semblent liées à l'installation des soldats. La pièce du coin (qui correspond, à Maximianon, à l'angle dit <<du praetorium>>) a livré un lot de lettres adressées au centurion Dekmos (= Decimus) : la plupart du temps, ses correspondants le prient respectueusement de distribuer les légumes qu'ils envoient à quatre de leurs camarades qui sont avec lui ; il est frappant que ni le corpus ostracologique de Maximianon, ni celui de Krokodilô n'attestent un centurion résidant sur place; mention dans cette correspondance d'un protesserarius et de kl(inf)roi, apparemment dans le contexte d'un tirage au sort en vue de l'assignement des soldats, procédure dans laquelle intervient le tesserarius ; un de ces soldats est monté de la sorte <<au skopelos qui est à côté de Koptos>>.

2. Al-Muwayh


(J.-P. Brun, J. Berato, Cl. Blanc, M.-A. Matelly)

On connaît désormais par les ostraca le nom antique du site, Krokodilô (invariable), écrit le plus souvent Korkodilô. Ce toponyme a probablement été inspiré aux fondateurs du praesidium par la forme du rocher aux inscriptions (BIFAO 95, p. 103-124) qui, vu du nord-est, évoque un lézard monstrueux.
Les travaux sur Al-Muway ont porté d'une part sur le fort, d'autre part sur le dépotoir situé à l'ouest de l'entrée. Le dégagement du fort a concerné essentiellement l'arase des structures étant donné l'ensablement important du site.
L'entrée a été mise au jour. Elle a été ouverte en perçant la courtine sud, ce qui implique soit que la porte primitive du fortin ouvrait au nord (ce que la destruction totale de la partie nord empêche de vérifier), soit qu'un changement de projet est intervenu en cours d'exécution.
C'est à partir de l'ouverture de la porte que le dépotoir a dû commencer à se former. Les plus anciens ostraca remontent au règne de Trajan (peut-être même de Domitien), ce qui ne date pas le percement de la courtine sud, car ils ont pu être jetés longtemps après avoir été écrits lors d'un grand nettoyage. La porte devait être alors limitée par des piédroits en grès qui ont été retrouvés très détériorés dans l'effondrement des blocs des tours. Ils sont couverts de marques et de graffiti (arabe, sudarabique, nabatéen). Une inscription de fondation en grès devait également exister mais on n'en a trouvé qu'un fragment de la moulure limitant le champ épigraphique. Le fort et cet état de la porte semblent avoir été utilisés durant une bonne part du IIe siècle.
Dans une troisième phase, après un abandon marqué par un dépôt sableux, la porte fut partiellement obturée par un mur fait de briques de remploi (provenant d'un bain ou d'une cuisine ?). En avant de ce mur fragile, plutôt abri que défense, un foyer limité par quelques briques fut utilisé un certain temps. Ces aménagements sont clairement reliés à un niveau d'occupation dont le matériel céramique est comparable à celui du wadî al-Fawakhîr et donc datable des V-VIe siècles de notre ère. L'absence d'amphores LRA 7 plaide pour une datation précoce dans cette fourchette, donc pour le Ve siècle.
La courtine a été dégagée sur les trois côtés subsistants. Très ensablée, elle est presque totalement conservée sur le côté ouest. Le chemin de ronde y est préservé à la hauteur de 2,50 m environ au dessus du sol de l'entrée. Un parapet, large de 0,85 m devait porter l'élévation à c. 3,50m. Les angles étaient défendus par des tours pleines comportant en partie haute une véritable pièce à laquelle on pénétrait par une ouverture. Il est donc probable que les tours présentait une hauteur plus grande que la courtine.
A l'intérieur du fort, les dégagements se sont limités à l'arase des casernements sauf sur trois points :
-la citerne dont la capacité a pu être calculée : 200.000 l. à l'origine ; un compartiment construit dans une seconde phase (bassin de décantation ? réduction des capacités de stockage ?) pouvait contenir 37.000 l.
-le bâtiment axial, très ruiné, dont on a pu toutefois mettre au jour le sol dallé.
-l'escalier menant à la tour nord-ouest qui a livré un four à pain tardif dont la sole était faite de pointes et d'anses d'amphores et les élévations en pisé ; cet aménagement est daté par une cruche dont on trouve des comparaisons au wadî al-Fawakhîr.

Le dépotoir situé au sud-ouest est très allongé (au moins 30 m de long). Son état de conservation est moins bon que celui de Maximianon car il a été plusieurs fois recouvert par les flots du wadî. Les matières organiques, la paille notamment, sont moins bien préservés, de même que les ostraca fréquemment délavés ou écaillés. Les dépôts se sont succédés de la porte en direction de l'ouest et présentent en général une pente à 30%. En partie basse, une première couche (3637) est recouverte de plusieurs nappes de chaux blanche, matériau qui semble bien provenir de la construction de la citerne, laquelle n'aurait été édifiée que dans une phase 2B par rapport à l'ouverture de la porte (2A). Les apports successifs de paille, de cendres, de graviers et de céramique provenant des nettoyages de casernements sont analogues à ceux de Maximianon. On note toutefois des différences sensibles : il n'y a pas ces dépôts massifs d'amphores quasi complètes qui rythmaient le dépotoir de Maximianon et les couches de cendres n'ont jamais la pureté et la puissance de celles de Maximianon, ce qui tendrait à indiquer que Krokodilô n'avait pas de thermes dans la phase du IIe siècle commençant à laquelle appartiennent les dépôts fouillés dans les carrés 36/46 et 35.
Un sondage a été opéré plus à l'ouest (carré 33). Il a mis au jour sous une grosse couche d'amphores et de graviers, les vestiges de structures obliques par rapport au fortin. Elles sont bâties en pierres liées à l'argile et leurs murs ne comprennent qu'un seul rang de blocs. Il ne peut donc s'agir que de murets (enclos pour animaux ?). Ces structures sont recouvertes par des couches de déchets, notamment une épaisse couche d'amphores et de vaisselle qui rappelle le matériel de Maximianon : ce niveau pourrait être attribué au milieu et à la seconde moitié du IIe siècle.

3. Bi'r al-Hammamat


(J.-P. Brun, J. Berato)

Les dégagements ont permis d'établir que l'enceinte était défendue par quatre tours d'angle circulaires et que la courtine sud fut renforcée dans une seconde phase par une tour quadrangulaire. La porte comportait un seuil fait de grandes dalles de pierre du wadî Hammamat, flanqué de deux crapaudines. Elle était défendue par deux tours quadrangulaires incluant de gros blocs de pierre du wadî Hammamat dont l'un porte une inscription nabatéenne. Entre les tours, l'entrée était dallée. Dans un second temps, les murs des tours limitant le passage furent doublés par des murets bâtis à l'argile qui pourraient correspondre à des banquettes. Dans l'effondrement des parties hautes des tours, les éclats d'une inscription de fondation en calcaire blanc ont été trouvés. Elle mentionne un préfet d'Egypte, mais son nom demeure inconnu.
À l'intérieur du fort, très ensablé, il a été possible de dégager l'arase des murs des casernements sur les côtés nord et ouest. La première pièce située à droite en entrant dans le fort a été fouillée. Elle a livré une stratigraphie très simple : sol de gravier , dallages de pierres et foyer surmontés d'une couche de paille amenée par le vent lors de l'abandon de la pièce puis d'un niveau d'effondrement des murs. Les dallages de pierres étaient limités par des blocs posés de chant. Sous le dallage ouest se trouvait une amphore verticalement enfouie et décolleté ; elle était fermée par une des dalles (un dispositif semblable a été trouvé à Qusur al-Banat). Le mobilier trouvé sur le sol est proche du faciès de Maximianon et pourrait dater du courant du IIe siècle de notre ère.

4. Al-Hamra'

Michel Reddé a dégagé la porte et une partie du bâtiment central. Ce praesidium est beaucoup mieux préservé qu'il ne le laissait supposer à première vue : le chemin de ronde, large de 0,79 m, est encore visible à l'est, à une hauteur d'env. 2,20 m au-dessus du niveau du seuil antique. Comme à Qusur al-Banat, la porte est flanquée de deux tours carrées, ce qu'on ignorait totalement. Le seuil, composé de plusieurs blocs, a été bouché dans un second temps ; le passage derrière la porte est soigneusement dallé. Le petit bâtiment central, placé face à la porte, dans une position identique à ceux de Maximianon et de Krokodilô, a été partiellement dégagé, mais cette fouille n'a pas non plus révélé sa destination (était-il en liaison avec le puits, probable quoique comblé par les crues du wadi ; ou s'agissait-il d'un bureau, hypothèse que nous suggère un des tableaux de service de Maximianon, assignant chaque jour et apparemment pour toute la journée le curator et le tesserarius à la porte du praesidium ?). Quoiqu'il en soit, il a servi ultérieurement de dépotoir et a livré trois ostraca dont un dipinto amphorique avec l'inscription <<hermonthite>>, dont plusieurs exemples ont été trouvés à Maximianon.

5. Bi'r Sayyalah


(J.-P. Brun, J. Berato)

Le fortin de Bi'r Sayyalah se présentait à notre arrivée comme une masse confuse de ruines antiques et modernes partiellement emportées par les flots du wadî. Un puits réaménagé au début du XIXe siècle est encore utilisé et semble remployer des structures antiques. Les vestiges du rempart formaient un demi-quadrilatère sans tour visible.
Les dégagements que nous avons opérés au cours d'une opération de quatre jours avaient essentiellement pour but de comprendre la structure et le type de la fortification, éventuellement d'apporter des précisions chronologiques. Ces nettoyages ont montré que, malgré son état de ruine, le fortin de Bi'r Sayyalah était susceptible de fournir des indications intéressantes et même, dans l'avenir, de permettre des dégagements en profondeur fructueux.
Le rempart présente au moins trois états nettement visibles. Un premier fortin quadrangulaire sans véritable tour d'angle mais dont les angles, arrondis, font légèrement saillie. Un second état qui voit l'adjonction d'une tour carrée, à 3,50 m de l'angle nord-est. Ce second état regroupe en fait deux phases puisque la tour carrée fut ultérieurement englobée par un nouveau parement. Un troisième état marque une réfection totale de l'ensemble du rempart qui fut englobé dans une nouvelle enveloppe aux angles arrondis sans tour d'angles mais avec une sorte d'épaississement formant bastion au milieu du flanc ouest.
Ce secteur montre d'ailleurs un arasement des ruines qui était interprété jusqu'ici comme l'emplacement de la porte. Nos dégagements montrent qu'il n'en est rien et il faut vraisemblablement chercher la porte à l'ouest ou au sud, c'est à dire dans la zone totalement détruite par le wadî. Un linteau en granit qui pourrait en provenir se trouve d'ailleurs dans le lit du wadî au sud du fort.
La cause du principal confortement du rempart (état 3) pourrait résider dans les assauts des flux torrentiels qui auraient emporté une partie des courtines et destabilisé les tronçons nord et est qui présentent des tracés sinusoïdaux et des parements déversés. L'enveloppe extérieure aurait alors servi à stabiliser le rempart et à le régulariser après une crue.
L'intérieur du fortin, très bouleversé, comprend des casernements accolés au rempart. Deux sondages, tentés dans deux d'entre eux, ont montré une couche d'effondrement très épaisse ; le sol n'a pas pu être atteint. Toutefois, les deux casernements possédaient des sortes de placards aux parois enduites de chaux qui avaient été comblés avec des sédiments provenant d'un dépotoir. Le mobilier, homogène, est quasiment identique à celui de Maximianon et doit être placé dans le courant du IIe siècle. Cela est confirmé d'ailleurs par la vaisselle en verre, une lampe à volutes à deux becs et une amphore à huile de Bétique Dressel 20 (type Martin-Kilcher E). Une dizaine d'ostraca, dont un dipinto <<hermonthite>>.
Aller plus loin dans la compréhension et la datation des états de la fortification aurait bien entendu demandé une fouille de plus longue haleine qui n'était pas au programme. Il aura suffit de montrer l'intérêt de ce fort plusieurs fois profondément remanié et dont la durée d'utilisation a dû être assez longue, ce qui n'est pas le cas pour Dawwî.

6. Al-Dawwî


(J.-P. Brun, J. Berato)

C'est le dernier fort avant Myos Hormos. Il présente encore un état de conservation remarquable dû à son faible ensablement. Au centre, puits romain effondré. L'enceinte est pourvue de tours d'angles circulaires et les courtines possèdent en leur milieu des tours semi-circulaires. Le fortin ne compte que deux rangées de casernements, sur les côtés sud et ouest. Tout le reste est libre de construction et il était possible d'accueillir les chevaux et la caravanes à l'intérieur. Les casernements présentent sur leur façades des sortes d'auges formées de dalles dressées qui semblent bien avoir servi de mangeoires.
Les dégagements, très limités étaient uniquement destinés à faciliter le lever du plan. Ils ont surtout concerné l'entrée qui était défendue par des tours en quart de cercle d'un type inédit.
Le mobilier mis au jour, très pauvre, comprend des cruches et des gourdes d'Assouan dont on a trouvé de grandes quantités à Maximianon (mais pratiquement aucune à Krokodilô). Là encore une datation dans le courant du IIe siècle semble probable. La rareté du matériel, l'absence de dépotoir plaident pour une occupation peu intense, peut-être de courte durée.

7. Les ostraca d'Al-Muwayh (O.Krok.)

Les ostraca grecs et latins ont été déchiffrés par H. Cuvigny, A. Bülow-Jacobsen et J.-L. Fournet.
Les dates qu'ils annoncent (entre l'an 10 et l'an 19 de Trajan, l'an 2 d'Hadrien) situent le matériel trouvé dans le dépotoir (du moins dans les carrés orientaux de celui-ci) avant celui de Zarqa'-Maximianon (les O.Max. n'ont pas livré de date sinon deux titulatures impériales fragmentaires, l'une d'Hadrien ou Antonin, l'autre d'un double règne, donc Marc-Aurèle et Verus au plus tôt). Comme la céramique, le corpus offre, dans sa composition, un faciès un peu différent:

                          O.Max.           O.Krok.
nombre total d'ostraca 1545 % 425 %
lettres 746 48,28% 234 55,05 %
dipinti amphoriques 427 27,63% 58 13,6%
listes de gardes 94 6,08% 81 1,88%
latin 170 11% 26 6,11%
scolaire, magique, &c 352 2,26% 2 0,47%
éphémérides 1 0,06% 34 8%
copies de corresp. milit. 0 0% 14 3,29%

Il ne faut pas attacher d'importance au fait que les lettres semblent proportionnellement plus nombreuses à Krokodilô : les chiffres sont probablement faussés par le fait que nous avons enregistré cette année plus de fragments de lettres insignifiants. En revanche, deux traits sont significatifs : il arrive que des lettres soient datées (du jour et du mois), ce qui n'est jamais le cas à Maximianon; c'est un signe d'ancienneté. La moindre fréquence des proscynèmes épistolaires, dont on sait que la mode se développe dans le courant du IIe s. (11,96 % à Krokodilô, 19,57 % à Maximianon) pourrait en être un autre.

Les textes les plus remarquables d'Al-Muwayh sont (1) les éphémérides, (2) les copies de correspondance militaire. Ils sont souvent dans un état très fragmentaire, mais trois ostraca géants permettent de se faire une idée précise de ce type de documents :
(1) les éphémérides : journaux relatant jour par jour et heure par heure les arrivées et les sorties de cavaliers porteurs de dépêches appelées selon les cas epistolai ou diplômata ; ces dépêches émanent souvent du préfet de Bérénice. Ces éphémérides nous informent que les deux étapes immédiatement après Krokodilô sont, dans la direction de Myos Hormos, Persou et, dans celle de Koptos, Phoinikôn (dont l'identification avec Al-Laqîtah ne fait pas de doute). On se souvient que les deux sites les plus souvent mentionnés dans les O.Max. était Persou et Simiou, ce qui invite à identifier Simiou avec Al-Hamra'. Quant à Persou, on sait par des proscynèmes grecs et démotiques inscrits dans les carrières du wadî Hammamat (I.Ko.Ko. 105) et sur les murs de la chapelle de l'an 18 de Tibère édifiée dans le village qui fait face au Paneion, que cette zone d'exploitation au moins s'appelait Persou et que le village était occupé par des carriers et probablement aussi des militaires (les destinataires des lettres trouvées sur place et publiées par Fr. Kayser, ZPE 98, 1993, p. 111-156 ; sur Persou, ibid. p. 114-115). Le nom s'étendait-il au praesidium de Bi'r al-Hammamat (le seul, qui soit préservé du moins, entre Krokodilô et Maximianon) ? La mention récurrente de Phoinikôn dans les O.Krok. implique que le praesidium de Qusur al-Banat, ne fonctionnait pas à l'époque comme étape : est-ce à mettre en relation avec son architecture originale ? Il y eut malgré tout un moment où Al-Muway et Qusur al-Banat, ont dû être en fonction en même temps, puisqu'un des ostraca de Qusur al-Banat mentionne Krokodilô. À côté de Persou et de Phoinikôn, deux autres toponymes apparaissent sporadiquement dans les O.Krok. : Didymoi (m. pl., <<les Gémeaux>>) et Giza. Giza n'apparaît (à plusieurs reprises) que dans un texte, et toujours associé à Phoinikôn : des lettres arrivent de Persou et repartent <<vers Phoinikôn et Giza>>. Si Giza est un praesidium, ce ne peut donc être qu'une station après Al-Muway dans la direction de Qîft (Qusur al-Banat ? Al-Matulah ?) ou dans celle de Bérénice, puisqu'une piste partant d'Al-MuwayÌ vers le sud permet de rejoindre la route de Bérénice, en passant devant le paneion d'Al-Buwayb, ... au niveau du praesidium Didymè (Khashm al-Menih) : on est donc plutôt tenté de penser que ce Didymè de l'Itinéraire Antonin n'est autre que le Didymoi des O.Krok. Cette identification est d'autant plus séduisante que Didymoi représente dans ces éphémérides une troisième direction possible vers ou à partir d'Al-Muway.
(2) Les copies de correspondance administrative/militaire. Plusieurs tessons, dont un très grand, portent des copies, plus ou moins fragmentaires, de lettres adressées (en grec) aux <<curatores des praesidia de la route Myshormitique (hodos Mysormitike)>> par le préfet de Bérénice Artorius Priscillus (en 109 ou bien en 116, l'année régnale étant de lecture incertaine). Ce personnage était déjà connu, à la fois par une inscription provenant probablement de Pouzzoles, qui retrace sa carrière (CIL VI 32929 = ILS 2700, cf. Pflaum, Carrières no88) et quatre papyrus de l'archive d'Apollônios, stratège de l'Heptakomia. Les lettres les mieux conservées ont pour objet : des consignes relatives à l'acheminement du bois pour les constructions navales ; ordre de donner de l'eau à trois âniers ; ordre d'escorter des voyageurs et de les amener devant le préfet à Koptos ; contrôle du transport de blé, d'orge et de paille. À un autre dossier appartient la moitié supérieure d'une amphore couverte de copies de dépêches (diplômata) rédigés par divers officiers. Cette correspondance tourne autour de l'attaque, par 60 barbares, du praesidium de Patkoua le 13 mars 118. Nous en devons le récit au cavalier Antonius Celer, de la Deuxième Cohorte des Ituréens, qui prit part à l'action et fit un rapport circonstancié sous forme de diplôma adressé à son supérieur, le centurion Cassius Victor, de la même unité : les Barbares attaquèrent à 2 heures de l'après-midi et les soldats se battirent jusqu'à la tombée de la nuit (pour reprendre le combat le lendemain matin), laissant les civils qui vivaient autour du praesidium se débrouiller pendant la nuit (ce qui semble tout à fait normal) ; les victimes de ce premier jour de combat furent un soldat, tué, et une femme et deux enfants, enlevés (un des enfants fut finalement exécuté). Les péripéties du jour suivant sont perdues. La copie du rapport d'Antonius Celer est communiquée par le centurion Cassius Victor <<aux préfets, centurions, decurions, duplicarii et curatores des praesidia la route myshormitique>> ; dans un autre cas, le diplôma de Cassius Victor, rédigé à l'intention d'un groupe de destinataires encore plus vaste puisqu'il s'agit non plus des officiers de la route de Myos Hormos mais de l'ensemble du désert, est communiqué sous forme de copie aux seuls curatores de la route de Myos Hormos par un décurion de l'Aile des Voconces.

Trois autres préfets de Bérénice, inconnus ceux-là, sont mentionnés dans les O.Krok. : Cassius Taurinus, Cosconius et --tylos (à moins que ce dernier nom, mutilé, soit le cognomen du premier).

Deux lettres de soldats font allusion à la location (misthosis) de femmes, probablement des prostituées. Le scénario est le même, bien qu'il s'agisse d'affaires différentes. Une seule femme est louée (le loyer mensuel s'élève respectivement à 60 et 75 drachmes) mais elle envoyée avec une autre (dont le rôle reste mystérieux) dans le praesidium où elle travaillera. Là, elle aura un protecteur (epitropos), qui paie le prix convenu au propriétaire (kyrios) et veillera à ce qu'on ne la brutalise pas : on peut supposer que ce protecteur tire son bénéfice de la différence entre le prix de la location qu'il a déboursé et celui des passes qu'il empoche. En O.Krok. 227, on est en fin de bail et le kyrios laisse le choix au protecteur : soit il lui renvoie la femme, soit il proroge le bail pour un nouveau mois et paie alors le forfait, soit il place la femme à Didymoi en s'occupant de lui trouver comme protecteur un homme de confiance. Tout se passe comme si certains soldats arrondissaient leurs revenus en prostituant leurs esclaves et en les faisant tourner dans les différents praesidia, sans doute pour stimuler l'intérêt de la clientèle par un renouvellement régulier du produit offert.

1 Encore s'agit-il vraisemblablement de fragments non raccordables d'une seule grande liste.
2 Le chiffre est gonflé par l'existence de notre obsédé sexuel graphomane auquel on doit 10 compositions littéraires. Même sans lui, le pourcentage (1,6 %) reste supérieur à celui de Krokodilô.